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Les Enjeux éthiques du vieillissement

par Guy Muller 16 Mai 2018, 17:13 Les sites de REFERENCE

 

Le Comité Consultatif National d’Ethique pour les sciences de la vie et de la santé vient de rendre un avis sur la situation des personnes âgées. Il s’interroge sur la concentration des personnes âgées entre elles, dans des établissements dits d’hébergement. Et il recense les leviers possibles pour une société plus inclusive pour les personnes âgées.

 

 

De la Retraite à l’âgisme le discrédit est identique

 

Au XXe siècle le prestige de la vieillesse « a beaucoup diminué du fait que la notion d’expérience est discréditée. La société technocratique d’aujourd’hui n’estime pas qu’avec l’âge le savoir s’accumule, mais qu’il se périme. L’âge entraîne une disqualification. Ce sont les valeurs liées à la jeunesse qui sont appréciées. Le vieillard – sauf exceptions – ne fait plus rien. Il est défini par une exis, non par une praxis. Le temps l’emporte vers une fin qui n’est pas posée par un projet. Et c’est pourquoi il apparaît aux individus actifs comme une « espèce étrangère » dans laquelle ils ne se reconnaissent pas. » Dans notre système de santé, le « ralentissement des fonctions » (sensorielles, cognitives…) des personnes âgées vient frontalement en opposition aux exigences et contraintes d’efficacité, de productivité et de rentabilité imposés aux professionnels du monde du soin médical comme non médical.

 

Une critique des EHPAD

 

L’institutionnalisation de personnes âgées dépendantes, leur concentration entre elles, dans des établissements d’hébergement, les excluant du reste de la société est probablement le fruit d’une dénégation collective de ce que peut être la vieillesse, la fin de la vie et la mort. Elle n’est pas respectueuse de ces personnes lorsqu’elle procède d’une contrainte, ce qui est souvent le cas. Quand bien même cette institutionnalisation contrainte serait revendiquée au nom de principes de bienveillance et dans le but d’assurer la sécurité de ces personnes vulnérables, la contrainte, en elle-même, l’absence fréquente d’alternative à celle-ci et de surcroît l’obligation de les faire payer pour ce que ces personnes ne souhaitent pas apparaissent contraire à une éthique du respect de ces personnes.

 

La réalité du changement en train de s’opérer dans nos sociétés modernes du fait des conséquences des progrès dans le domaine de la santé et particulièrement des développements techniques et scientifiques de la médecine impose une prise de conscience collective de nos concitoyens. Le vieillissement général de notre population génère des situations de grande fragilité, de grande vulnérabilité, de dépendance. Ce constat a et aura des impacts économiques non négligeables à la fois en termes de dépenses nouvelles dans le cadre de la solidarité mais aussi en termes de nouveaux emplois et de développement de l’économie sociale et solidaire de proximité. De plus en plus de personnes sont et seront considérées comme « inactives » au sens où nos sociétés marchandes l’entendent et l’attendent. Elles ont et auront néanmoins un impact économique positif important décrit sous le terme de « Silver Economie », tout en étant paradoxalement perçues pour nombre d’entre elles comme sources de coûts pour la collectivité.

 

Dans une démocratie contrainte par sa dette publique, par les déficits chroniques de ses systèmes d’assurances sociales, un choix essentiel peut s’imposer, même s’il risque d’être impopulaire, entre le financement de prouesses technoscientifiques et la garantie d’une égalité d’accès pour tous à la santé entendue comme état de bien-être physique mental et social.

Mieux vaudrait pour notre société qu’elle ait le courage de se poser ces questions maintenant ; faute de quoi nous pourrions nous trouver rapidement face à l’émergence et au développement d’une perversion de la relation, à double sens : chez les « bien-portants », un risque d’ostracisme envers les personnes qui certes sont malades mais qui, corrélativement, coûtent ; chez les personnes malades ou vulnérabilisées par l’altération de leur santé, un risque de sentiment de culpabilité, d’indignité.

L’éducation nationale pourrait se donner pour objectif de former très tôt les enfants à une réflexion morale ayant pour but de faire percevoir les concepts d’altruisme et de solidarité. Un autre objectif d’enseignement pourrait être de faire percevoir l’impératif respect des personnes âgées et de faire réfléchir à la finitude de l’homme, de faire comprendre que vieillir est la destinée de tous et d’inciter à innover dans toutes formes de solidarités.

Développer des dynamiques et des organisations intergénérationnelles pour intégrer le vieillissement dans la vie serait une richesse pour tous.

 

Notre système de santé devrait s’adapter à cette réalité du vieillissement démographique, aux nouvelles formes de soin pour les personnes poly-pathologiques. L’accompagnement respectueux des personnes vulnérabilisées par l’âge et les maladies, l’aide au maintien de leur autonomie devraient être des actes soignants valorisés en tant que tels. L’hôpital de demain mais aussi les EHPAD devront aller « hors leurs murs » pour permettre aux offres de soins de se déplacer vers les personnes plutôt que de contraindre les personnes à se déplacer vers elles comme c’est le cas aujourd’hui. C’est tout un travail en réseau, coordonné qui va devoir se développer. Une politique respectueuse des personnes fragiles, qui se donnerait les moyens de les protéger et les considéreraient comme une richesse et non une charge, honorerait la notion de démocratie

Le vieux jardinier
Le vieux jardinier

Le vieux jardinier

Une vieillesse peu montrable

 

Plusieurs travaux ont indiqué clairement que notre société occidentale considère une « vieillesse peu montrable » et qu’il convient par conséquent de la maintenir cachée à la vue du grand public. Ce sont ainsi des millions de personnes âgées qui sont ignorées particulièrement dans les discours sociaux et dans leur traduction par les médias.

Les raisons sont à rechercher d’une part dans « la peur moderne et partagée de vieillir » et d’autre part, dialectiquement, dans la valorisation non moins partagée du « jeunisme », du fantasme de devoir impérativement rester jeune pour rester inclus dans la société.

 

Nous sommes face à une idéologie prônant des valeurs individualistes et volontaristes pour des citoyens actifs et productifs au nom d’une sacro-sainte vision économique. Faisant de chacun d’entre nous avant tout des consommateurs acteurs de la croissance économique.  Notre société valorise les logiques de l’action; elle augmente chaque jour ses exigences de performances et de rentabilité au regard des citoyens ; cette évolution vers le « toujours plus, toujours plus vite, toujours mieux, toujours moins couteux » s’oppose frontalement au ralentissement psychomoteur caractéristique du vieillissement.

 

Il ne serait pas inopportun de considérer les personnes ayant vieilli comme des individus porteurs d’une forme de sagesse et de prise de recul liée justement à leur âge. Après la fin de leur période active, les personnes âgées pensionnées sont aussi des acteurs économiques de premier plan participant activement à la création de richesse de la nation.

Mais cette vision de la vieillesse comme une richesse ne semble pas retenue dans notre société moderne. La survalorisation de l’action et de la performance aboutit à une inadaptation de la personne ayant avancé en âge aux exigences et aux contraintes de notre système de santé et de notre société.

 

Au niveau de notre société, finalement, le vieillissement de la population est parfois perçu comme « un problème ». L’accélération des avancées techniques devenues disponibles lors des dernières décennies impose une capacité d’adaptation croissante à ces changements. L’illustration la plus parlante est peut-être les bouleversements induits par le développement de l’électronique dans tous les objets d’utilisation courante, de la primauté de l’informatique et de ses applications dans la vie de tous les  jours. Or, précisément la difficulté d’adaptation aux changements est une des caractéristiques très répandue du vieillissement …

 

Parce que notre société est marquée par une forte augmentation des personnes devenues « inactives » (les retraités), on aboutit à une véritable tension entre l’exigence sociale d’une adaptation de tout un chacun au monde moderne et, dans le même temps, d’une réduction progressive de la capacité d’adaptation d’une fraction croissante de la population. Ce paradoxe factuel devrait impérativement être pris en compte dans toute élaboration d’une politique de prise en charge des personnes âgées.

Or, le plus souvent, le même paradoxe conduit plutôt à la stigmatisation de la personne âgée au motif de cette difficulté à suivre et s’adapter au changement.  

 

 

La notion de temps différent

 

A l’extrême c’est cet âgisme qui aboutit parfois à une mise à l’écart de son monde familier pour la personne concernée, à un isolement dans un lieu (souvent l’EHPAD) où sont concentrés volontairement « les sujets à problèmes » que sont devenus les personnes âgées. Dans un lieu presque toujours éloigné des regards (éventuellement coupables) de ceux qui ne sont pas encore vieux mais le deviendront inéluctablement.

Il en résulte un ensemble isolement – concentration générateur d’une exclusion sociale de fait.

 

A titre d’illustration, lorsqu’un soignant pose une question à un résident en EHPAD, au début d’une aide à la toilette, il n’est pas rare que la réponse de celui-ci, souvent juste d’ailleurs, lui survienne sans qu’il puisse l’exprimer du fait que le professionnel ayant terminé sa tâche a quitté la chambre du résident. C’est ainsi parfois que nait une confusion ou une assimilation entre « ne pas comprendre assez vite » et « ne pas comprendre » du tout !

De même, le « temps du vieux » est souvent peu compatible avec le temps très contraint du médecin par le nombre de patients à recevoir lors d’une consultation : il n’est pas rare de constater qu’au motif qu’une personne âgée met « trop de temps » à se déshabiller…. Elle ne se déshabille pas en consultation et qu’en opposition avec les règles de la bonne pratique clinique elle se trouve « examinée » (si l’on peut dire !) au travers de ses vêtements. C’est ainsi que la mauvaise pratique peut conduire à la méconnaissance de signes cliniques qui auraient pu permettre la reconnaissance, en temps utile de pathologies majeures. On découvre ainsi parfois des cancers très avancés chez des personnes âgées ayant pourtant été adressées régulièrement en consultation médicale au cours des dernières années.

 

Les personnes intéressées par cette étude peuvent l’importer en suivant le lien placé ci-après :

Les Enjeux éthiques du vieillissement
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