Billet de présentation
Ce site a pour objectif de traiter progressivement de l’ensemble des problèmes liés au vieillissement des personnes. Il se veut jouer un rôle d’observateur lors d’évènements particulièrement intéressants de la vie locale. La journée du 26 mai a été marquée à Nice par un débat dont la qualité était de niveau national.
Guy Muller
L’avenir des retraites en pleine bataille de la communication
Colloque au MAMAC
Sous le thème « Retraites sous influence » un débat était organisé par l’UD FO le 26 mai dans l’auditorium du Musée d’art contemporain de Nice. Cette rencontre rassemblait plusieurs conférenciers connus pour leurs livres, travaux, tribune libres déjà publiées sur le thème des retraites et de leur devenir. En dépit des compétences ainsi réunies, le débat s’ouvrait après que d’importantes décisions gouvernementales aient été annoncées par voie de presse, ce qui devait orienter les discussions du jour. Il faut comprendre que depuis le mois de mars, une campagne de presse dénoncait la disproportion future entre le nombre d’actifs et le nombre d’inactifs. Dans cette campagne de communication les symboles agités étaient simples : les actifs devraient porter le poids énorme de trop nombreux retraités !! Or l’inactivité quelle qu’en soit la cause oblige dans tous les cas (crise économique oblige) à faire jouer la solidarité entre tous. Il n’est pas nécessaire d’être en retraite pour être en retrait du système de production comme le prouve la montée du chômage. Il n’empêche que cette campagne avait tout pour inquiéter la population et offrir un terrain favorable à la REFORME.
Le colloque du jour permettait de mettre en lumière de nombreux aspects d’un débat déjà déséquilibré au départ.
Henri Sterdyniak, directeur de l’OFCE qui a publié dans le Monde un article sur le thème « Faire payer la retraite par les retraités » entamait le débat en retraçant l’historique de la réforme des retraites. Il passait au crible les précédentes réformes dont l’impact devait déjà sauver le système. Déplorant des incohérences entre le départ à 62 ans et l’attitude des entreprises vis-à-vis des plus de 55 ans. Car c’est dès 50 ans que l’atmosphère interne aux entreprises est décrite comme anxiogène à l’égard des travailleurs les plus âgés.
Il met en lumière l’importance du déficit de l’Etat de 150 milliards par rapport à celui des retraites de 25 milliards. Il déplore le refus d’augmenter les prélèvements pour répondre aux souhaits du MEDEF. Le rapport du COR est orienté sur les mesures d’âge et ne compte aucunement sur l’augmentation du PIB. Or le report dans le temps aurait pu permettre d’absorber le déficit des retraites qui représente 2,6% du PIB et 4 point de cotisations.
Les jeunes sont aussi les victimes du système actuel de par la diminution de leur taux d’emploi. Touchés par le chômage, ils le sont plus encore par la précarité des petits boulots successifs. Comme les jeunes ne sont pas indemnisés à moins de 30 ans, ils représentent une économie évaluée à 6 milliards par an.
Puis il traite des perspectives affichées par le COR en matière de diminution future du niveau des retraites. Cette programmation aura pour conséquence de les diminuer de 20 à 30%, selon les sexes. Aussi bien que le niveau comparatif des retraites et des salaires soit proche actuellement, c’est bien une diminution régulière qui s’annonce, aggravée par l’indexation sur les prix.
Henri Sterdyniak
Nicolas Castel, docteur en sociologie est l’auteur d’un livre : « la retraite des syndicats ». Son intervention se révèle être une attaque en règle contre les syndicats et FO qui auraient déjà perdu la bataille des retraites. Son argumentation repose sur plusieurs constats qui témoignent d’une régression continue des droits des retraités au fil des réformes. Il introduit de nombreuses distinctions sémantiques qui montrent un divorce au plan du langage entre le pouvoir politique et les syndicats. Le terme de Réforme par exemple signifie d’un côté régression des droits et de l’autre préservation ou protection. Les syndicats ne sont plus à l’offensive et organisent des retraites successives. Il dénonce un mixage entre la prévoyance et l’assistance. La régression du contributif par rapport eu non contributif, le gel des cotisations patronales, l’indexation sur les prix, la possibilité de cumuler un emploi et une retraite.
La Réforme annoncée remet en cause tous les éléments du combat syndical par la construction d’une thématique entièrement opposée. Création de comptes notionnels, capitalisation, volonté de limiter la retraite au montant des cotisations versées (destruction au passage des solidarités). Le retour aux idées libérales se concrétise par l’instauration d’un filet protecteur pour les pauvres. Une allocation assurerait la charité contemporaine. On pense à l’APA dont le montant met déjà à mal les budgets des collectivités locales. Au bout du compte la charité serait même difficile à organiser !!
Pierre Concialdi représente l’IRES. Il débute son intervention en évoquant un point positif intervenu en 1970 : un quasi quadruplement du montant des retraites. La France vit ce paradoxe en évoquant les Réformes nécessaires, elle oublie qu’elle est le pays qui a le plus réformé ce domaine. La logique de l’équilibre est dénoncée. Est-ce qu’une famille de 2personnes qui voit naître des jumeaux va diviser son revenu par le nombre de têtes vivant au foyer ? Il dénonce de fausses assertions comme celle selon laquelle on vit plus longtemps, donc on doit travailler plus longtemps. Les pays étrangers qui sont donnés en exemple pour le report de l’âge du départ en retraite sont des pays où l’âge de départ réel est de 61 ans. En conséquence le report de l’âge de la prise de la retraite est une façon d’en diminuer le montant pour tous ceux dont l’emploi est supprimé. Il donne des indications sur l’effet bénéfique de la retraite prise à 60 ans en 1982. Les retraités ont gagné à l’époque 5 ans de vie en bonne santé. Selon ses calculs le report de l’âge de la retraite représente une reprise de 40% de l’espérance de vie. Mais c’est surtout une attaque inadmissible vis-à-vis des postes pénibles. La prolongation indéfinie du temps de travail pèse sur le marché du travail au détriment des jeunes.
Pierre Concialdi
Daniel Reguer, sociologue, professeur à l’Université du Havre apporte une vision très concrète liée à ses interventions sur le terrain des entreprises locales : energie atomique, automobile… Sa description de situations vécues montre un décalage important entre le pouvoir politique et le pouvoir économique. Il a été le témoin accablé de départs rapides annoncé la veille pour le lendemain à des personnes de 56 ans et 3 mois. Il remet les pendules à l’heure : 38% des 55/64 ans sont en emploi contre 45,6% en Europe. Le sociologue explique les conséquences des vérités des dominants sur les dominés qui ne sont pas dupés par les mots, affirmations de convictions partiales. Si l’on affirme l’importance du travail et si l’on se sépare facilement de ses salariés, faut-il s’étonner de leur désinvestissement ? Les nouvelles formes de management qui exacerbent la compétition entre individus sont destructrices des entraides. Si le critère de l’utilité sociale disparait le pot de départ (voir le film Mammuth), la conservation de liens avec les anciens collègues n’ont plus guère d’utilité. Mieux la précarité de l’emploi supprime et la notion de carrière et la solidarité autre thème d’un autre film « la vie rêvée des anges ».
Car les institutions formatent les parcours de vie. L’exemple est donné de l’obligation scolaire qui crée le statut de l’enfant. La retraite crée un statut de retraité. Au droit à l’école, répond le droit à la retraite. Les jeunes seniors rejoignent un groupe social qui lui même avance en âge.
La retraite à 60 ans est-ce une réelle victoire du travailleur ? Alors qu’elle est attaquée depuis le retrait des politiques incitatives au départ et que les pensions sont assurées de diminuer ?
Le conférencier en vient à évoquer les injonctions contradictoires subies par les salariés. Parmi elles, la création de CDD seniors, la déconstruction sociale qui conduit à la désaffiliation et au rejet du système.
Il décrit une guerre des âges organisée trop tôt. Les vieux sont lents, résistants au changement et coûteux pour la société. Les jeunes sont eux parés d’atouts inverses : rapides, souples, bon marché. Toutefois nombre de ces atouts ne le sont que pour ceux qui peuvent en profiter : les employeurs. Il suffit de commenter ces soi-disant atouts pour comprendre qu’ils sont des atouts inversés. Qu’il n’y a aucun classement qualitatif puisque chaque assertion sera validée en fonction de la subjectivité propre à l’appartenance à son groupe de vieux ou de jeunes.
Daniel REGUER
Ces injonctions contradictoires ont été décrites par Jérome Pellissier en octobre 2009, alors que Daniel Reguer avait traité des activités des seniors retraités. En suivant les deux liens vous trouverez un résumé de leurs interventions à Nice dans le cadre de conférences régulières organisées par le CCAS.
Jérôme Pellissier à Nice "la guerre des âges"
Le Débat
La durée du débat était réduite à cause de la durée des interventions des invités et d’un retard au démarrage. Deux interventions ont retenu mon attention.
Guy Rousseaux (retraités de la communication) repose la question déjà évoquée par plusieurs participants sur l’absence de FO aux manifestations prévues le lendemain. Il s’étonne que l’on puisse s’opposer à la réforme sans être présents sur le terrain. Il lui est répondu que la loi sur la représentativité syndicale a modifié les clivages entre organisations syndicales. Une alliance CGT-CFDT-Medef cherche à créer un monopole syndical au détriment des toutes les autres organisations. Par ailleurs les manifestations sur la voie publique sont démobilisatrices : elles sont des soupapes. Elles calment les ardeurs sans changer la nature des choses. Mais au-delà du défilé, les déterminations du gouvernement, telles qu’annoncées hier, ne changent pas.
Guy Muller (gestionnaire des sites DIRPA) s’étonne qu’alors que l’on traite de l’âge de la retraite, de la durée des cotisations, rien ne soit dit sur la durée de la vie… Il serait dommage que cette journée se conclue sans que ce paramètre n’aie été abordé. Chaque intervention politique est précédée par l’évocation d’une durée de vie prolongée d’un trimestre tous les ans ou d’un gain d’une année tous les quatre ans. Or cette durée est contrebattue par des statistiques portant sur les actes de décès dans les pays scandinaves, par Michel Galy (ouvrage « Des seniors et des hommes ») qui évoque seulement un gain d’un trimestre tous les 16 trimestres. Comment un débat national peut-il s’engager sur des bases inconnues ? L’Ined montre que la pyramide des âges est réduite de moitié à 68/69 ans. Le risque d’une erreur d’appréciation par excès est important.
Daniel Reguer montre que c’est la durée de vie complète qui a augmenté du fait de la diminution importante de la mortalité infantile et celle des mères lors de l’accouchement. Si l’on raisonne sur la durée de vie à un âge donné, le gain est beaucoup plus faible. En un siècle une femme a gagné 9 années entre 1900 et 2000. En conséquence le gain en survie est d’un an tous les dix ans. Ce chiffre est confirmé par plusieurs autres participants déplorant de trop nombreuses affirmations péremptoires et gratuites. Nous sommes dans une bataille de la communication et communiquer ce n’est pas forcément informer équitablement. La communication est une action de persuasion qui utilise tous les arguments, y compris les plus fallacieux.
Pierre Concialdi évoque les perspectives du COR qui ont changé en l’espace de trois ans. Alors que l’espérance de vie était supérieure dans l’hypothèse 2003, en 2005, l’espérance de vie avait diminué. En conséquence ce serait une sottise que de croire en l’objectivité de prévisions extrapolées vers 2050. Il semble que l’horizon de vie doive se limiter aux connaissances actuelles. La nature peut aussi se venger cruellement si la croissance démographique se réalise au détriment de la biodiversité, si cette croissance est destructrice du climat, si elle pollue l’air et l’eau.
En conclusion, la conférence du jour était de haut niveau et digne de notre site « Références ». Elle apportait divers éclairages, y compris dans la critique des attitudes syndicales, au plan de leur stratégie. Mais il est évident que les syndicats ne sont pas demandeurs de la Réforme même s’ils acceptent certains sacrifices. Le rejet complet par le gouvernement de toute augmentation des cotisations vise à ne pas accroître les charges sociales qui pèsent sur le coût des produits et services. Aussi la recherche de nouvelles assiettes fiscales était sous jacente dans ce débat ce qui démontre une souplesse plus grande de participants par définition hostiles à toute modification du statut quo.
Guy Muller