Comment les Etats-Unis traitent-ils les vieux travailleurs ?
C’est un travail d’investigation journalistique qu’a effectué Jessica Bruder en contactant et voyageant avec les échoués du système de retraite américain. Elle décrit un naufrage de millions de personnes qui vivent désormais en marge du système économique qu’elles ont pourtant servi.
Chacun a une histoire personnelle, mais le fait majeur dans leur choix de vivre sur roues dans des vans, caravanes et autres mobiles, réside dans l’impossibilité de vivre dans une maison. Plusieurs crises ont conduit ces personnes sans terre à opter pour cette solution radicale. Si vous évitez de payer un loyer, vous devenez maitre de votre existence, car vous diminuez drastiquement vos dépenses.
Depuis 2008, la crise des subprimes a jeté sur les routes une main d’œuvre abondante, qui pour survivre doit continuer à travailler. Pour les employeurs de cette main-d’œuvre docile et très mal payée, il suffit de leur accorder un droit de parking, pour les séduire avec des salaires de misère.
La descente aux enfers de toutes les personnes citées dans le livre est contée comme une histoire individuelle particulière. Mais le fond commun est toujours le même : avec la crise économique, un divorce, l’impossibilité de vivre avec sa famille, tout a concouru à rendre le Nomadland inévitable. C’est-à-dire que le travail à vie remplace la retraite disparue pour de trop nombreuses raisons : faillite d’une société qui ne cotisait pas, endettement excessif du salarié, vente à perte du logement…
Déjà, dans les années trente, la crise économique avait jeté sur les routes une masse de travailleurs privés d’emploi. Toutefois, ils pouvaient espérer trouver une amélioration dans leur future existence, tandis qu’aujourd’hui une telle espérance est vaine. Le destin de ces itinérants a été décrit par John Steinbeck dans les raisins de la colère en 1939.
La création d’une solidarité entre « campeurs »
L’obligation de se déplacer pour travailler ou pour vivre en fonction du climat des Etats conduit ces personnes à jouer la solidarité et l’entraide. Il s’agit d’améliorer ses conditions de vie au quotidien : on échange donc sur l’emplacement des parkings gratuits, la possibilité de prendre une douche, comment domicilier son adresse, la qualité des emplois offerts… De nombreux blogs permettent ainsi d’échanger, comme la création de rencontres entre ces SDF d’un nouveau genre. Cependant, certaines foires et blogs cherchent encore à gagner de l’argent sur la misère. Quelquefois, ce sont des personnes ayant vécu l’itinérance qui donnent des conseils. Bref au pays de la libre entreprise, il y a toujours quelque chose à gagner.
Il existe aussi des points de rencontre qui deviennent des caravansérails modernes. On y vend tout le nécessaire à la vie nomade, y compris des caravanes vendues à crédit… Le livre donne des exemples tel que le site de Quartzsite dans l’Arizona où des reportages traitent des rencontres entre l’écrivaine et les habitants provisoires des lieux. Ce site abrite plus de soixante-dix parkings destinés à accueillir plusieurs dizaines de milliers de personnes, contre seulement quatre mille au cœur de l’été.
La société Amazon emploie nombre de retraités sur ses sites d’expédition. Pour les attirer, elle prête parkings aménagés, avec électricité et eau. Mais le travail proposé est terriblement stressant. Il faut parcourir 20 kilomètres par jour et user poignets et pieds pour tenir le rythme. Amazon donne gratuitement des antalgiques à son personnel.
Le jeu du Monopoly avait une case intitulée hospice lors de sa création, cette case s’intitule maintenant « parking », toujours située dans un angle du jeu (passage gratuit). Un symbole du capitalisme est donc devenu une anticipation sur la vie des vieux travailleurs.
En France la fabrique des SDF continue de plus belle
Depuis le 1er avril, les expulsions recommencent, avec une progression du nombre des familles concernées. En 2017, 126 000 décisions d'expulsion ont été prononcées, dont plus de 120 000 pour impayés locatifs (+49 % depuis 2001), selon le dernier bilan annuel de la Fondation Abbé Pierre (FAP).
Cette année devrait connaître une nouvelle progression du nombre des expulsions. "Avec une augmentation de 46 % en 10 ans, ce sont au total près de 300 000 personnes qui ont été effectivement expulsées manu militari au cours de cette décennie", relève la Fondation. En sachant qu'avant même l'intervention de la police, "bon nombre de ménages quittent leur domicile sous la crainte de la procédure ou la pression du propriétaire ou de l'huissier", précise la FAP.
Dénonçant "la flambée de loyers", "la spéculation immobilière", "la précarité énergétique", cumulées à "une baisse du pouvoir d'achat des classes populaires et moyennes", les associations exigent que plus aucune expulsion ne se fasse. Elles insistent également sur la nécessité de construire massivement des logements sociaux accessibles aux petits revenus et demandent l'encadrement des loyers dans les grandes métropoles. Mercredi, le ministère du Logement a annoncé que 6000 places supplémentaires ouvertes pendant l'hiver, dont 1400 à Paris, seraient pérennisées, portant à 145 000 le nombre de places d'hébergement pour les sans-abris ouverts toute l'année.