Résumé du rapport de la Cour des Comptes
Estimée à 2,5 millions de personnes en 2015, la population de personnes âgées dépendantes pourrait atteindre 4 millions en 2050. En dépit de la volonté des pouvoirs publics de promouvoir un « virage domiciliaire », les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) occupent une place centrale dans l’offre de prise en charge, puisqu’ils accueillent aujourd’hui environ 600 000 résidents - soit 15 % de la population de plus de 80 ans. Le volume global de la dépense publique consacrée aux soins et à la dépendance en Ehpad a progressé de 30 % entre 2011 et 2019 (près de trois fois plus vite que le PIB), pour atteindre 11,24 milliards d’euros en 2019. Pour autant, cette progression des dépenses n’a pas suffi à répondre aux besoins d’une population de plus en plus fragile. Face aux enjeux d’adaptation de l’offre, une meilleure appréhension de l’évolution des affections liées à la dépendance paraît nécessaire pour anticiper les besoins futurs et concevoir des plans à la hauteur des enjeux. Dans cet objectif, la Cour suggère de mieux intégrer les Ehpad dans les territoires, et de renforcer la prise en charge médicale au sein de ces derniers, ainsi que la démarche qualité. Le hasard veut qu’aucun Ehpad de la société Orpea ne figure dans l’échantillon. Les contrôles ont été menés avant la parution du livre « Les Fossoyeurs » de Victor Castanet (Fayard, 400 pages, 22,90 euros) qui dénonce « le système d’optimisation des coûts » du groupe privé commercial.
Des couchers à 18 heures, voire à 16 heures, des dîners servis à l’heure du goûter, des toilettes qui durent à peine dix-sept minutes, une surconsommation de psychotropes… Le modèle actuel des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) est « à bout de souffle », estime la Cour des comptes, dans un rapport rendu public, lundi 28 février, sur « la prise en charge médicale des personnes âgées » dans ces structures. Les magistrats financiers dressent la liste des maltraitances qui découlent du manque chronique de personnel soignant et de médecins. A l’appui de ce bilan, ils ont contrôlé cinquante-sept établissements dont dix-neuf privés à but lucratifs.
Il existe en 2020, 7 502 Ehpad accueillant un peu plus de 600 000 personnes âgées dépendantes, soit une personne de plus de 75 ans sur dix et une sur trois de plus de 90 ans. Cette population se caractérise par sa très grande fragilité, l’âge moyen d’entrée en Ehpad étant de 85 ans et 9 mois. Les Ehpad peuvent être de statut public (44 % des Ehpad), privé non lucratif (31 %) ou privé lucratif (24 %). Ils sont présents sur l’ensemble du territoire, de façon contrastée selon les statuts. Par exemple, les Ehpad privés non lucratifs sont davantage implantés dans l’Est, dans le Nord, en Île-de-France et en Pays de la Loire et les Ehpad commerciaux sont plus présents en Île-de-France, en Nouvelle-Aquitaine, ainsi que le long de la côte en Provence Alpes-Côte-D’azur. Il y a en moyenne un peu plus de 63 équivalents temps plein pour 100 résidents, pour des Ehpad qui fonctionnent 24 heures sur 24 et tous les jours de l’année.
Les constats et remèdes proposés par la Cour des Comptes
Les Ehpad comptent en moyenne moins de trente-cinq soignants pour 100 résidents. Pour augmenter ce ratio, la Rue Cambon suggère de fixer une norme qui établirait le nombre maximum de résidents pris en charge par un soignant, sur le modèle en vigueur dans certaines crèches pour enfants. Cette norme serait édictée par la Haute Autorité de santé. Selon la Cour des comptes, chaque Ehpad serait alors tenu d’afficher son taux de personnels soignants par résidents. La transparence sur les conditions de prise en charge les inciterait à améliorer la qualité.
Le coût global des réformes proposées par les magistrats financiers est évalué entre 1,3 milliard à 1,9 milliard d’euros par an. « Il est très inhabituel pour la Cour de préconiser des dépenses supplémentaires, mais nous l’assumons », a fait valoir M. Moscovici devant le Sénat. Il a évoqué la réforme des retraites comme une source possible de nouveaux financements pour les « besoins massifs » en faveur du grand âge.
A l’instar du livre de Victor Castanet, la Cour alerte aussi sur la carence des contrôles des Ehpad par les ARS. Alors que le ministère de la santé affirme qu’un établissement est inspecté en moyenne tous les dix ans, le rapport indique que les établissements ne le sont que « tous les vingt à trente ans ».
Une nécessaire redéfinition du rôle des ARS et des conseils départementaux
La coexistence de trois sections, correspondant à trois sources de financement, a de moins en moins de sens au fil du temps et est facteur de complexité et d’inégalité territoriale. La frontière entre les dépenses qui relèvent du soin et celles qui relèvent de la dépendance est artificielle. Elle ne correspond pas à une identification tangible de différentes modalités de prise en charge. La distinction n’a pour objet que de définir une règle de co-financement entre ARS et département, à l’image de la règle de partage des postes d’aide-soignant. Cette organisation entraînait, avec le précédent régime de tarification, des négociations financières propres à chaque financeur, ARS d’une part et département d’autre part. Avec la réforme de la tarification, la distinction de financement ne se traduit que par l’application d’une valeur de point GIR différenciée selon les départements. Or, les valeurs des points GIR départementaux en 202154 présentent des écarts allant de 6,20 € (Alpes-Maritimes) à 9,47 € (Corse) et 11,80 € en Guyane, avec une valeur moyenne à 7,34 €. Au-delà de l’opacité du calcul du point et des conditions de son évolution, ces écarts introduisent une disparité excessive dans les ressources allouées aux Ehpad, selon leur département d’implantation, impliquant une iniquité des conditions de prise en charge.
Pour une meilleure connaissance des coûts d’hébergement
La CNSA, ainsi que les ARS et les départements, manquent d’informations sur les dépenses d’hébergement des Ehpad privés, non habilités à l’aide sociale. Ceux-ci ont en effet des obligations de communication d’informations réduites sur la section hébergement, prévues par la règlementation. Il s’agit pourtant de parties majeures des budgets des Ehpad : pour les cinq Ehpad d’un des deux groupes privés lucratifs contrôlés, la section hébergement représente de 68 % à 56 % des produits. À titre de comparaison, dans les Ehpad rattachés à un établissement public de santé, la section hébergement ne représentent que 45,8 % du budget. Il est regrettable que les écarts considérables liés aux tarifs hébergement ne puissent pas être analysés, pour en connaitre l’effet sur la prise en charge des résidents. En effet, une part conséquente des actions de prévention est susceptible d’émarger sur l’hébergement, en particulier ce qui relève de l’animation et de la vie sociale, ainsi que la contribution notamment de l’alimentation à l’état de santé des personnes.
Depuis la parution des Fossoyeurs, livre enquête dénonçant un prétendu «système Orpea» permettant au géant des Ehpad de réaliser des marges indues, les remises de fin d’année (RFA) ont été découvertes. Ces pratiques sont un symbole infamant pour les groupes privés du secteur. Le pouvoir politique, de la ministre chargée de l’Autonomie, Brigitte Bourguignon, aux membres de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, mais aussi l’opinion publique sont scandalisés des profits réalisés sur les dotations soins et dépendance versées par les agences régionales de santé (ARS) et les départements. Cet argent public est détourné dans la mesure où un pourcentage des commandes est rétrocédé à l’établissement ou au holding pilote. Ces remises peuvent concerner toute commande dans le domaine de l’hébergement ou du matériel. Elles s’ajoutent à divers pas de porte imposés : télévision, téléphone, coiffure.
Les problèmes de recrutement et d’attractivité
Les taux d’encadrement demeurent encore insuffisants. La grille Aggir a été construite, à l’origine, en établissant une équivalence entre nombre de points par niveau de GIR et besoins de soins, en temps de personnel. Sur la base de cette équivalence, le niveau de GIR moyen pondéré (GMP) national de 723 points en 2018 correspond à un ratio d’effectifs de 57 ETP pour 100 résidents. L’écart entre le taux d’encadrement en personnel de soins et le ratio issu du modèle GIR correspondrait à un besoin d’augmenter l’effectif de soins de 45 % (+ 18 ETP pour 100 places) – croissance qui ferait augmenter le taux d’encadrement global de plus de 25 %.
Les difficultés de recrutement de personnel soignant en établissement et le manque d’attractivité de la filière ont été notamment soulignés par de nombreux rapports. Ce constat a été confirmé dans les Ehpad contrôlés, dont beaucoup sont confrontés à des vacances de postes. Afin d’y faire face, beaucoup d’établissements ont recours à du personnel contractuel de courte durée sur des fonctions d’aide-soignant. On relève ainsi 30 % d’emplois en contrat à durée déterminée chez les aides-soignants de l’Ehpad Saint-Simon de Paris et le recours aux contractuels pour assurer la continuité le week-end et pendant les vacances (Ehpad d’Ablis dans les Yvelines). De même, l’Ehpad du centre hospitalier de Crozon (Finistère) a eu recours à du personnel contractuel et intérimaire pour occuper les emplois nouvellement créés en raison de la faible attractivité des métiers du grand âge, de l’isolement géographique et de la sortie tardive des écoles de personnel infirmier. En effet, nombreux sont les personnels qui privilégient les contrats à durée déterminée voire l’intérim, qui offrent une rémunération supérieure et permettent de changer d’employeur plus facilement. Des établissements choisissent aussi la voie de l’intérim médical pour recruter du personnel infirmier, des aides-soignants ou des agents de service, ce qui constitue une difficulté pour la continuité de l’accompagnement des résidents.
Une insuffisante qualification du personnel en Gérontologie
Parmi les aides-soignants, peu nombreux sont ceux qui ont reçu une formation d’assistants de soins en gérontologie. Cette qualification, lorsqu’elle existe, n’est pas exploitée au mieux faute de temps. Les titulaires d’un diplôme d’aide médico-psychologique (AMP) n’accomplissent que rarement des missions distinctes des autres aides-soignants (AS). Ainsi, c’est une même fiche de poste pour les fonctions d’AS et d’AMP au sein de l’Ehpad du Parmelan à Annecy (Haute-Savoie), même si les AMP interviennent principalement auprès des personnes atteintes de maladies Alzheimer ou apparentées. Les agents de service hôtelier n’exercent pas de missions de soins : cependant, une partie du personnel ASH au sein du groupe hospitalier de Mulhouse (Haut-Rhin) participe explicitement aux soins, sans fondement réglementaire. Pour les infirmiers, il n’existe pas de spécialité de gériatrie, alors que la spécificité de l’accompagnement et le niveau de responsabilité en Ehpad sont élevés, au regard d’une présence médicale limitée, pour des personnes dont l’état de santé est dégradé. La reconnaissance d’une spécialisation en gériatrie, voire d’une capacité en pratiques avancées est une piste à explorer. La DGOS mène actuellement une réflexion sur le renforcement des compétences des infirmiers en pratiques avancées mention « pathologies en soins primaires », ayant vocation à prendre en charge les personnes âgées, qui pourrait répondre aux besoins dans les Ehpad.
Une surconsommation médicamenteuse peu prise en compte
La gestion des médicaments est un enjeu majeur de la prise en charge des résidents en Ehpad dans la lutte contre l’iatrogénie médicamenteuse. La HAS et l’Anesm préconisent la mise en place d’une politique institutionnalisée inscrite au niveau du projet d’établissement et proposent une méthodologie de gestion du risque médicamenteux. Selon les statistiques de l’assurance maladie sur les consommations de médicaments en Ehpad sans PUI, 8 % des résidents ont plus de 10 lignes de médicaments par prescription, ce qui constitue un facteur de risque. Sur l’échantillon d’Ehpad contrôlés, plus du tiers des établissements ont plus de 10 % des résidents avec un risque d’iatrogénie, ce taux atteignant jusqu’à 19%. Dans une petite structure comme l’Ehpad d’Ablis (Yvelines), en juillet 2019, 34 des 38 patients présents recevaient plus de dix médicaments par jour. La prise de psychotropes mérite une attention particulière, du fait de la prégnance des troubles psychiques dans la population concernée et du risque que soit administrée une « camisole chimique » plutôt qu’une prise en charge basée sur l’intervention humaine Ainsi, selon les données de l’assurance maladie pour les Ehpad sans PUI, près de la moitié des résidents prend des anxiolytiques et/ou des antidépresseurs. L’administration d’hypnotiques ainsi que de neuroleptiques concerne près du quart des résidents.
En conclusion, la Cour des Comptes propose une refondation complète des EHPAD
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