Un nouveau rapport parlementaire publié ce jour vise à améliorer le financement des maisons de retraite. Par lettre de mission en date du 23 décembre 2022, la Première Ministre a confié à Mme Christine Pirès Beaune une mission sur les montants restant à la charge des résidents des structures d’hébergement des personnes âgées en perte d’autonomie. Il s’agissait d’étudier les conditions dans lesquelles ceux-ci pourraient être diminués, maîtrisés et contenus, ainsi que les modalités de financement d’une prise en charge renforcée des personnes âgées dépendantes, accueillies principalement au sein des EHPAD.
Maitriser le reste à charge
Encadrer le reste à charge des personnes qui résident en établissement pour personnes âgées dépendantes n’est pas considéré, par beaucoup, comme une priorité. J’ai eu l’occasion de le constater à plusieurs reprises dans le cadre de cette mission. Les acteurs du secteur estiment en effet que les actions prioritaires doivent porter sur l’amélioration des ratios d’encadrement, la hausse du nombre de soignants, l’amélioration de la qualité de l’accueil des résidents et des conditions de travail des personnels, dont je tiens à saluer les compétences et le dévouement extraordinaire. Ils ont évidemment raison. Pour autant, je considère qu’il est tout à fait légitime de vouloir, en parallèle, répondre à cette problématique que beaucoup de familles considèrent - à juste titre - comme un sujet majeur. Il est impératif d’encadrer les restes à charge et d’éviter que certains de nos concitoyens modestes se voient contraints à une assignation à résidence subie, et non choisie, faute de moyens financiers pour intégrer un établissement d’hébergement. Que ce soit à domicile ou en établissement, le niveau de revenus d’une personne âgée ne doit jamais la condamner à l’indignité.
Au cours des dernières années, la proposition de transformation en crédit d’impôt de l’actuelle réduction d’impôt au titre des frais d’hébergement des personnes âgées dépendantes a régulièrement animé les débats lors de l’examen des lois financières. En effet, les parlementaires de sensibilités diverses qui soutiennent cette proposition jugent inique le dispositif actuel de soutien des personnes âgées dépendantes : aujourd’hui, les ménages modestes sont relativement moins soutenus que les plus aisés, en particulier compte tenu de l’impact de cette réduction d’impôt.
Ce rapport - accompagné de neuf annexes thématiques - vise à éclairer, mais également à dépasser ce débat. Le Gouvernement a en effet souhaité une analyse plus large du cadre dans lequel les personnes âgées dépendantes sont prises en charge.
Le reste à charge est la conséquence d’un écosystème qui doit être amélioré. Faute d’une action globale, toute baisse du reste à charge serait en effet vouée à l’échec, les moyens supplémentaires risquant d’être absorbés par certaines structures. Il n’y aurait aucune garantie que les coûts effectivement supportés par les résidents et leurs familles baissent ou que la qualité de leur prise en charge soit améliorée.
Ce rapport relève ce défi et propose une démarche globale et ambitieuse de changement, matérialisée dans différents scénarios servant un objectif unique : replacer la personne âgée dépendante au centre de l’action publique, pour mieux la soutenir, en clarifiant et rendant plus cohérent le cadre d’action de tous les acteurs publics et privés qui se dévouent quotidiennement pour en prendre soin. Les propositions formulées sont d’ambition variable ; leur mise en œuvre pourra être cumulative ou progressive. Avec ce rapport, les décideurs publics disposent d’un ensemble simple, complet et cohérent permettant d’améliorer l’action publique.
Nous devons regarder la réalité en face. Parmi les résidents en EHPAD, les personnes âgées les plus pauvres, les plus fragiles et les plus isolées sont nombreuses. Elles sont confrontées à des taux d’effort considérables : seule une petite partie (24 %) peut couvrir ses frais de séjour via ses revenus courants. Le séjour en établissement est coûteux pour tous, mais il est parfaitement insoutenable pour les plus modestes. Le système actuel est par ailleurs peu justifié : globalement, les plus modestes ne sont pas aidés à la hauteur de leurs besoins ; les ménages modestes sont moins aidés que les plus aisés. La courbe des soutiens présente ainsi une forme en « U » ou plutôt en « J », ce qui démontre la (contre) redistribution à l’œuvre actuellement. L’argent public est donc mobilisé à mauvais escient et en opposition avec les principes affichés et partagés par tous.
Le taux d’effort des personnes hébergées les plus modestes est près de trois fois supérieur à celui des plus aisées. A cette différence de taux d’effort s’ajoutent des soutiens publics insuffisamment redistributifs. L’APA en établissement varie peu selon les revenus, donnant à penser que les départements ne retiennent - dans leur très grande majorité - au mieux que le degré de dépendance pour fixer les tarifs. Tous soutiens confondus, les résidents les plus aisés sont notoirement mieux aidés que ceux qui disposent de moins de ressources, du fait de la réduction d’impôt.
Vers un prélèvement sur les obligés alimentaires
Je propose donc une triple clarification du financement en faisant appel à des ressources nouvelles. La responsabilité consiste à considérer que les personnes âgées dépendantes sont les premières concernées par la prise en charge. Elles doivent donc logiquement être mises à contribution à raison de leurs facultés, et dans un contexte où nombre d’entre elles ne peuvent faire face au coût de leur séjour et ne l’ont pas anticipé en disposant d’une épargne liquide ou d’un patrimoine rapidement mobilisable. Prôner la responsabilité, augmenter le reste à charge ou renvoyer au viager ou à des produits spécifiques peut être justifié. Mais ces leviers peinent à produire les effets escomptés. La situation actuelle est celle d’un reste à charge impossible à assumer par la plupart, et surtout par les plus faibles. Il est nécessaire de mieux répartir et organiser l’effort attendu des personnes âgées et de leurs familles.
Cette analyse justifie la mise en place - difficile mais justifiée - d’une recette sur les obligés alimentaires en ayant la faculté, et variant selon leurs revenus. Cette recette serait combinée à une récupération sur succession, elle aussi au travers d’un barème lisible et anticipable, et variant selon l’importance de l’actif successoral. Mesurons l’avancée que le nouveau système représenterait. Actuellement, les plus fragiles bénéficient de l’aide sociale, mais doivent en contrepartie consacrer toutes leurs ressources, mêmes modestes, au paiement de leurs dépenses, obligation à laquelle s’ajoutent la mise à contribution de leurs proches solvables et le prélèvement sur leur succession. Le futur système prendrait en charge l’intégralité de leurs frais et proportionnerait leur effort à raison de leurs facultés. Le même principe s’imposerait aux résidents plus fortunés qui seraient soutenus mais devraient également contribuer au financement des dépenses communes. Cette approche me semble justifiée et de justice.
Une contribution du secteur privé
Le secteur, et en particulier les entités relevant du secteur privé lucratif, doivent aussi être mises à contribution. En effet, leur modèle économique actuel repose pour partie sur la valorisation d’une autorisation d’accueil, autorisation qui constitue un actif public et leur permet de solliciter les finances publiques pour chaque personne hébergée. Encadrer l’activité privée est justifié. Cela ne revient pas à l’interdire ou l’empêcher, mais bien à la rendre cohérente avec l’action publique plus globale. Ces recettes nouvelles permettraient au demeurant de financer des investissements immobiliers dont nombre de structures ont un besoin cruel. Cette solidarité entre acteurs me semble, là encore, des plus justifiées.
Une nouvelle contribution remplacerait la CSA et la CASA
Enfin, le financement de la 5ème branche doit être rationnalisé, pour acquérir une dimension plus universelle. En lieu et place des prélèvements actuels, une nouvelle contribution autonomie serait créée. Elle frapperait tous les revenus. En contrepartie, la CSA et la CASA seraient supprimées. La fraction de CSG affectée à la branche serait aussi supprimée, permettant une baisse de ce prélèvement. Cette réforme assurerait à la branche un financement clair, garanti et dynamique.
Ce rapport assure un soutien aux personnes âgées en personnalisant l’effort en fonction de la fortune ou du revenu de chacun. Le recours à un prélèvement sur les successions et sa progressivité en fonction de la richesse du résident marque un grand changement dans les habitudes actuelles. C’est un financement adapté à une donne économique où l’Etat endetté a d’autres priorités que les personnes âgées. En cherchant un strict équilibre dépenses-recettes, avec trois voies de financement, les pouvoirs publics peuvent agir comme ils l’entendent. Une nouvelle boite à outils leur est servie. L’ensemble des contributions prévues repose sur leurs bénéficiaires dans un auto-financement où l’Etat disparaitrait. La cinquième branche serait assurée de recettes pérennes grâce à une contribution unique…
Pour ceux qui ont de la mémoire, le rapport Vachey s’attaquait déjà à cette problématique du CNSA dans un rapport de 360 pages. Le nouveau rapport de 150 pages s’attaque au même problème de la simplification d’un système devenu complexe. S'il est courant que les rapports de ce type balaient plusieurs hypothèses en matière de financement, il est tout aussi courant que les auteurs préconisent une solution ou laissent au moins transparaître une inclination. Les choix à l'intérieur de cette palette sont évidemment de nature politique. Cet exercice n'est bien sûr pas étranger à la focalisation des médias sur la seule question du financement, tandis que les Français risquent de retenir, pour leur part, que la future branche autonomie est synonyme, avant même d'exister, d'une avalanche de taxes et d'impôts.
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