Billet de présentation
Ce troisième article est destiné à alimenter une nouvelle rubrique sur les défenseurs des seniors. Jérôme Pellissier est un auteur emblématique qui s’attaque au discours dominant selon lequel les vieux sont un coût, une charge, des inutiles. Et pourtant il y aurait beaucoup à dire sur l’utilité de certaines spéculations, sur une vision à court terme de la société. Le discours dominant nous dit laissez la répartition actuelle des richesses inchangée ! Mieux même acceptez de voir vos retraites diminuer au nom d’impératifs budgétaires.
Cet article parait avec un retard important dû à une captation de fichier.
Les seniors sous le regard de la société
Colloque du 16 décembre 2009
Organisé par le CCAS de Nice
Intervention de Jérôme Pellissier.
Auteur de « la guerre des âges », gestionnaire d’un site Internet très connu.
1). Les injonctions contradictoires.
Le parent dit à son enfant : sois autonome. Les jeunes seniors en entreprise sont poussés vers la sortie qu’est la Retraite : il est temps de vous arrêter ! Puis il faut continuer à travailler et s’investir dans les associations. Ne prenez pas le travail des jeunes. Mais le Bénévolat sans salaire est l’avenir de l’homme, presque son nirvana… Ou alors :ces retraités sont oisifs et inutiles…
Rester jeune à tout prix est une autre injonction contradictoire. Appauvrissez vous thèse de François de Witt. Mais la pauvreté conduit à l’APA… et à la dépendance financière.
La participation au financement du grand âge ne devrait reposer que sur la population des personnes âgées. Le grand parent idéal est toujours disponible. Mais lui ne doit dépendre de personne. La sagesse, la culture c’est bien, mais c’est aussi un regard porté sur le passé. Autant de contradictions intenables qui concernent les personnes âgées.
Tout le discours sur les produits anti-âge montre que l’âge est bien l’ennemi. Mais si l’on passe toute sa vie à lutter contre le vieillissement c’est nier une évolution naturelle. Certains font tout pour masquer la situation réelle, effective, mais le moment vient où l’on ne peut plus faire semblant. Arrive alors une sorte de haine de soi avec des troubles graves voire la dépression.
L’autonomie et la liberté ne sont pas évidentes.
L’exclusion brutale du monde du travail démontre une certaine inutilité. Performance sexuelle liée à l’apparence, musculation à 82 ans, activisme prêté en clichés divers.
Pour devenir autonome avec l’âge, il faut l’être bien avant. La conquête de l’autonomie est un travail de toute une vie. Lorsque l’on ne dispose d’aucune latitude dans le cadre de son travail, il sera difficile de prendre un réel essor. On ne développe que ce qui est en latence.
La majorité des associations s’écrouleraient sans les seniors. Un des titres du Point apparait emblématique « Le casse du siècle : comment une génération a volé la suivante ». Une autre image est projetée. Celle de l’actif qui est entouré de vieux qui le menacent en agitant leurs cannes : « il ne veut plus cotiser »…
Autant d’images fortes de la nouvelle guerre des âges.
Et pourtant la moyenne des retraites mensuelles est faible à 1200 euros. Avec cependant une forte disparité entre hommes et femmes. Les projets actuels visent une taxation sur le patrimoine. Or le patrimoine est diversement réparti. La retraite et la plus ou moins grande aisance qui en découle est largement liée au patrimoine : attention aux moyennes. Les jeunes sont pauvres et les vieux sont riches sont des affirmations fausses.
Les aides apportées aux enfants et petits enfants sont oubliées…
Le confinement et le repli des personnes âgées sont liés à un environnement hostile : éloignement du centre ville, insécurité et délinquance dans certains quartiers, pas d’ascenseurs.
Le modèle idéal du « bon vieux »
Il est souvent présenté en bonne forme, performant, fonctionnant comme l’adulte de 40 ans. Il y a donc une occultation complète des formes de déchéance. Pourtant ce que nous sommes dépend de la société. En conséquence nous sommes tous dépendants à un moment donné de la vie. La dépendance est spécifique à la nature humaine. Elle n’est pas l’apanage d’un âge donné. La rejeter est stupide…
Tous les stéréotypes sont activés. J’ai 80 ans, mais je suis resté jeune dans ma tête. Etre vieux serait donc une tare. Etre jeune serait une Qualité. On attribue sans aucun fondement des qualités associées à la jeunesse : vitalité, dynamisme. Le vieux est lent, réactionnaire, tourné vers le passé. Rien ne valide ces affirmations gratuites. On finit par croire des affirmations inexactes. Or la vivacité n’a rien à voir avec l’âge. Mettre en avant l’activité et le dynamisme d’une personne de 90 ans c’est dire vous êtes un faux vieux (dans une émission télévisée). Regardez : son comportement est identique à celui des jeunes. Il est donc presque des nôtres (dixit les animateurs-journalistes). C’est donc nier que la personne âgée puisse témoigner d’une véritable valeur intrinsèque. Les valeurs de performance et de compétitivité montrent leurs limites avec le mauvais exemple de France Télécom. La rapidité, la compulsivité sont des atouts pour la FNAC et le commerce en général. Si à 18 ans vous aimez les variations Goldberg de Bach, c’est une catastrophe, si vous restez dans cette préférence toute votre vie.
Bien évidemment, l’âge n’est pas non plus une garantie de sagesse !! Un cliché reste un cliché quel que soit l’âge.
Une phrase est donnée à méditer : je ne vais pas en vacances à Tahiti, je vais en retraite…
2). Méfiance vis-à-vis du programme « bien vieillir » : Jérôme Pellissier tacle la bientraitance
Bien se nourrir, bien marcher, sortir, hygiène de vie, c’est un véritable programme pour chien. Cette vision est très vétérinaire : orientée vers le corps et non vers la pensée. Or l’on court moins vite avec l’âge, alors que certaines fonctions ne faiblissent pas. La conséquence en est une vision catastrophique de l’avancée en âge. Les valeurs de création, de relations, d’imagination, d’apprentissage restent toujours actives. Les questions existentielles trouvent aussi une large place lors de la retraite.
Prendre soin… des autres, parents, associations, sont des valeurs en hausse. Ces valeurs sont moins dominantes dans notre société. L’acte bénévole n’étant pas pris en compte dans le calcul du PIB. Les aides soignantes seraient mieux rémunérées que les traders si cette considération prévalait. Une prise de distance s’avère nécessaire pour s’éloigner du guidon.
La bientraitance serait-elle un succédané de la charité du passé à l’égard des pauvres ? Serait-elle un message de bons sentiments sans être réellement opérationnelle ? L’affichage de la bonne intention s’exerçerait-elle aux dépens de l’acte du prendre soin ? La bientraitance est aussi mise au service de la démarche de qualité globale sans moyens. C’est l’affichage de sophismes tels que l’on peut mieux faire sans dépenser plus. Au 19ème siècle il ne fallait pas donner de couverture financière de peur qu’elle soit dépensée en boisson. La charité et la bientraitance reproduisent un schéma : celui de ceux qui possèdent le pouvoir et la connaissance au détriment de ceux d’en bas.
Corriger le rapport dominé-dominant
Or l’entrée en Institution, la faiblesse des personnes maltraitées au domicile sont des situations nées d’une rapport de dépendance et donc de la domination des uns sur les autres. C’est la domination qui fait courir un risque à l’égard du dominé. Cette situation a donc donné lieu à de nouvelles mesures prises dans les cinq dernières années pour protéger les plus faibles : la création d’un comité national de vigilance contre la maltraitance, la création d’un numéro d’appel national contre les actes de maltraitance, enfin et surtout l’Anesm publie de nouvelles directives pour améliorer les choses. Ce sont 15 directives qui ont été publiées par cet organisme en deux années. C’est dire si l’on revient de loin pour enfin passer de bienveillants discours aux actes !!
Comme l’affirme Jérôme Pellissier dans un magnifique article publié sur son site au mois de décembre 2009, à force de parler de bientraitance ce terme est devenu sans grande portée. Il permet de chosifier des qualifications porteuses de discours sans effet pratique. A une époque où le discours devient un acte de communication « vous faites un si beau métier ».. Oui mais l’outrance de la flagornerie cache l’essentiel. La pyramide sociale est aussi économique et l’encouragement ne vaut rien si l’on examine la hauteur des propos et la réalité des salaires des personnes que l’on encourage.
C’est véritablement se payer de mots avec l’emploi d’un discours charitable à l’égard d’un personnel essentiellement féminin et très mal rémunéré. C’est aussi oublier la réalité des conditions de travail et l’impossibilité d’acquérir une autonomie pour ceux dont le travail est taylorisé.
La personne dépendante doit être placée au centre…
Il est curieux que le discours sur le client placé au centre des préoccupations de l’entreprise aie du mal à être transposé en Institution. Car en Institution le client existe bien avec une présence permanente ! L’injonction à « être bientraitant » non accompagnée de mesures destinées à améliorer les conditions de travail, les formations, les ratios de personnel, etc., ne fait pas peser le même poids sur l’ensemble des professionnels. Ce sont souvent ceux qui sont en première ligne qui en subissent le plus lourdement la charge. Bien souvent, en effet, ces professionnelles (une majorité de femmes, ce qui n’est pas un hasard), en situation de sous-effectif et dans une organisation de leur travail de type « tayloriste », se voient incitées du jour au lendemain à porter une grande attention à de nombreux aspects (relationnels, psychologiques, de prévention) sans que ce qui soutient cette démarche (organisation souple du travail, autonomie des professionnels, temps d’échanges et de réflexions sur la pratique, temps de supervision, questionnements éthiques, etc.) soit mis en place. »
Dans une autre partie de son discours, Monsieur Pellissier cite les auteurs des démarches les plus modernes et qui partent de l’individu pour donner des solutions.
Il termine son propos en citant les auteurs du prendre-soin. Il s’attache à démontrer comment la méthode du Person-Centred Dementia Care considère le patient comme un VIPS.
Le Person-Centred Dementia Care se décline selon les quatre lettres du mot VIPS (Very Important PersonS) : Valorisation et reconnaissance ; Individualisation du prendre-soin ; Perspectives de la personne ; Soutien social et relationnel.
Il en décrit méthodiquement les principaux axes. Cette partie est très intéressante et j’en recommande vivement la lecture en visitant le site de l’auteur.
Notes de Guy Muller pour le Coderpa des Alpes Maritimes