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La corruption en France

par Guy Muller 21 Février 2024, 15:08 Les sites de REFERENCE

 

Malgré les réformes, la France stagne depuis 10 ans

Le dernier rapport de Transparency International vient d’être publié. Classée 20e sur 180 pays et territoires, la France obtient un score de 71 à l’Indice de Perception de la Corruption 2023, soit la même note qu’en 2013. Si ce score a légèrement évolué durant cette décennie, oscillant entre 69 et 72/100, cette stagnation sur dix ans sanctionne la communication gouvernementale qui n’accorde aucune priorité à la politique de lutte contre la corruption malgré une législation et un appareil institutionnel parmi les meilleurs au plan européen.

C’est une situation à la fois préoccupante pour l’attractivité de la France et paradoxale : en effet, en dix ans la France ne semble pas avoir tiré profit de la montée en puissance de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), de l’Agence Française Anticorruption (AFA), du Parquet National Financier (PNF), de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) ou encore d’un statut de lanceur d’alerte parmi les plus ambitieux au monde. Pourquoi ?

 

Le manque d’exemplarité du pouvoir exécutif

Encore en vigueur en 2017, la jurisprudence dite Bérégovoy-Balladur exigeait des ministres mis en examen qu’ils démissionnent. Cette règle pouvait sembler injuste, mais elle était claire, exigeante et, au fond, respectueuse de la présomption d’innocence, tout en étant protectrice de l’éthique de l’ensemble de l’équipe gouvernementale. A l’indifférence de l’exécutif pour l’exemplarité a succédé le mépris. Les affaires Griset, Dupont-Moretti et Dussopt ont montré aux Français qu’il était possible de rester au gouvernement tout en étant mis en examen. La nomination de Rachida Dati a montré qu’il était possible d’être nommée ministre, tout en étant déjà mise en examen. Ce retentissant recul en matière de déontologie suffit à lui-seul à compenser les maigres avancées obtenues en matière de transparence et de lutte contre la corruption, comme la décision de la France de maintenir l’accès du grand public au registre des bénéficiaires effectifs des sociétés dans l’attente d’une redéfinition de la législation européenne en la matière.

La corruption en France

L’absence de politique publique de lutte contre la corruption

Dix ans après, la création de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), l’Agence Française Anticorruption (AFA) ou du Parquet National Financier (PNF), la France ne dispose toujours pas d’une politique publique de lutte contre la corruption. Les atteintes à la probité ont augmenté de 28% entre 2016 et 2021, selon une étude du ministère de l’Intérieur et de l’Agence française anticorruption ; les affaires de corruption de basse intensité impliquant notamment des agents publics rythment l’actualité judiciaire, au point que la nouvelle directrice de l’IGPN s'inquiétait de l’émergence de la consultation illégale de fichiers dans la police ; et le secteur de l’immobilier demeure extrêmement vulnérable face au blanchiment, comme l’a révélé notre rapport qui pointait que l’identité des propriétaires des deux tiers des biens immobiliers détenus par des sociétés en France demeurait inconnue.

Malgré nos appels à la mise en place d’une politique publique de lutte contre la corruption pilotée par le Premier ministre, la France combat ce phénomène en ordre dispersé : les services du ministère de la Justice, de Bercy et du Quai d’Orsay semblent travailler chacun dans leur couloir et les initiatives interministérielles sont peu nombreuses, peu claires et trop éphémères, à l’instar de la « task force » créée au lendemain de l’invasion de l’Ukraine par la Russie et chargée d’identifier les avoirs des oligarques et proches de Poutine sous sanction. Pire, à ce manque de volontarisme politique s’ajoute la volonté d’entraver l’action des associations anticorruption illustrée par le feuilleton du non-renouvellement de l’agrément d’Anticor.

 

Indépendance de l’autorité judiciaire : un chantier inachevé

Si le garde des Sceaux a été finalement relaxé par la Cour de justice de la République, ni la justice ni cette juridiction d’exception en sursis ne sortent grandies de cette séquence désastreuse.

Sortir par le haut de « l’affaire Dupond-Moretti » appelle à reprendre le chantier de l’indépendance de la justice en alignant pleinement le statut des magistrats des parquets sur celui des magistrats du siège, en encadrant strictement les pouvoirs de nomination et le pouvoir disciplinaire du Garde des sceaux. Cette réforme qui a échoué en 2013, puis qui s’est perdue en 2018, doit être remise sur le métier et menée à son terme. Le président de la République en a convenu dans son discours du 4 octobre dernier devant le Conseil constitutionnel à l’occasion des 65 ans de la Constitution de la Vème République. Il reste à passer des paroles aux actes.

Alors que des propositions de suppression de la Cour de Justice de la République figurent depuis dix ans dans les programmes des candidats élus à la présidentielle et dans les propositions des associations anticorruption, il est temps de passer aux actes. Transparency International estime que les contentieux concernant les ministres en exercice devraient être confiés à une juridiction de droit commun, comme la Cour d’appel de Paris, avec le filtre d’une commission des requêtes.

La réforme de la police nationale engagée par l’exécutif constitue également une source d’inquiétude quant à l’indépendance de la police judicaire et donc de la justice. La mise en place d’un commandement unique de l’ensemble des services de police au niveau départemental sous l’autorité du préfet et la dissolution de l’actuelle police judiciaire dans une filière investigation qui réunirait tous les OPJ, généralistes et spécialistes, inquiète.

La France, malgré son classement flatteur à l’Indice de Perception de la Corruption de Transparency International, n’est donc pas immunisée contre les dérives illibérales qui touchent nombre de pays aux structures et cultures démocratiques plus fragiles. Notre pays dispose pourtant de nombreux atouts, outils et autorités. Il lui manque peut-être le plus important : la volonté politique.

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